une œuvre qui se construit pas à pas et pièce à pièce

Une thérapie sociale pour agir ensemble : l’intelligence collective comme processus de coopération

Elsa Bonal, Elsa Bonal

Les quartiers populaires sont traversés par des logiques de relégation, de paupérisation, de ségrégation,de discrimination ou encore de disqualification symbolique. Les habitants se sentent menacés dans leur dignité, ignorés en tant que sujets et doivent faire face à d’autres violences, plus spectaculaires comme celles des émeutes, ou plus insidieuses, mais non moins prégnantes, comme celles des trafics liés à l’économie de la débrouille qui pourrissent leur vie quotidienne. Mais l’ambition de ce numéro est moins d’analyser l’ensemble des processus qui participent du négatif social que de mettre en lumière les lieux de résistance à son emprise; les lieux d’expérimentation de nouvelles pratiques sociales et professionnelles, culturelles et artistiques, citoyennes et politiques ; les lieux qui favorisent la subjectivation et l’émancipation collective. L’interrogation porte tout particulièrement sur la façon dont ceux qui interviennent en tant que tiers (artistes, consultants d’ingénierie économique et sociale, sociologues, anthropologues, psychosociologues…) dans ces quartiers, auprès des habitants, des professionnels et des élus traduisent ces processus et enjeux, favorisent ces résistances et, au-delà, la transformation sociale.

Cette communication rend compte d’une intervention mettant en œuvre la thérapie sociale1 de Charles Rojzman au sein d’une banlieue du sud de la France. L’objectif de l’action était de générer une nouvelle mobilisation des habitants et des professionnels au profit des jeunes de ce quartier. L’intelligence collective est le résultat d’un processus de coopération. Il s’agit de faire tenir ensemble des savoirs et ceux qui les produisent. Si la finalité est de construire une capacité de dialogue entre les participants, ceux-ci sont envisagés comme des sujets, donc des êtres humains constitués de volontés contradictoires, d’inertie involontaire et de résistances. Et le groupe, rencontre plus ou moins effective entre des sujets, est fait de cette même matière incohérente, antagoniste et trouble.

À télécharger : article-2011-bonal-nrp12.pdf (140 Kio)

Cette action, conduite de mars 2008 à juin 2009, dans la banlieue (8000 hab.) d’une grande ville du sud de la France réunit des habitants (jeunes/mères/pères) et des professionnels (social, éducation, sécurité). Deux ans plus tôt, un groupe de mères du quartier s’était mobilisé en réaction à la mort d’un de leurs fils, abattu par la police alors qu’il cambriolait une résidence privée. Cet événement avait été révélateur d’un sentiment d’impuissance généralisé et déclenché un désir de changement plus largement partagé, tant du terrain que des décideurs institutionnels. Un premier dispositif de thérapie sociale, animé par Charles Rojzman, visait à démêler les rancœurs et méfiances entre habitants et professionnels et a élaborer des propositions d’actions susceptibles d’améliorer sensiblement les relations et la coopération entre les différents services et les habitants.

L’objectif de ce second dispositif est de travailler autrement les problématiques de jeunes perçus en danger (pauvreté économique, précarité sociale, discriminations, victimes de violences, addictions) et/ou dangereux (délinquance, agressions, caillassage de professionnels dans l’exercice de leurs fonctions,émeutes). En posant d’emblée cette dualité, l’appellation du dispositif annonce la démarche de coopération : il s’agit de faire avec ceux qui sont là, dans l’état présent de leurs oppositions. L’animation de ce processus de coopération a autorisé l’expression de ressentiments mutuels entre habitants et professionnels, habitants et habitants, professionnels et professionnels.

A l’issu du dispositif se dégagent des propositions concrètes et recommandations stratégiques pour une politique locale favorisant la mise en cohérence des acteurs agissant auprès des jeunes. Mais au-delà de ce résultat, l’expérience partagée a été à même de nourrir «les aspirations à être, à vivre et à travailler autrement et maintenant,(…) aspirations collectives à agir dans la vie quotidienne et à vivre des formes sociales d’où l’exercice d’un certain pouvoir ne serait pas systématiquement absent» (Beillerot, 1980).

Nous exposons ici les différentes étapes méthodologiques du processus d’intelligence collective spécifique à la thérapie sociale, telles qu’elles se sont déroulées dans ce groupe et au moyen d’éclairages théoriques.

En savoir plus

  • ATIC / Actions pour des territoires d’intelligence collective, Arles – actions.territoires@orange.fr

Notes

1 Elsa BONAL / Intervenante en Thérapie sociale