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Neuf mois après le lancement de l'expérimentation, il est déjà l'heure d'un premier bilan ! Duquel émerge des notions chères à la mise en récits : trajectoire et identité, coopération, accueil de récits multiples et confrontation de récits contradictoires, mise en mouvement des différents acteurs locaux... Retour sur cette expérimentation, racontée dans la Communauté apprenante “Mise en récits”, co-animée par le Cerdd et la Fabrique des transitions.
La Fab’Coop
Le PCTE La Fab’ Coop est un regroupement d’une cinquante d’acteurs qui, dans un bassin de vie donné, s’entendent pour se dire qu’ils ont chacun comme intérêts en termes de coopération, globalement autour de questions de transition. Ce PTCE a un positionnement très large, généraliste, et rassemble des collectivités, des acteurs de l’ESS, des acteurs du secteur du vin, des industriels, etc.Territoires Audacieux
Territoires Audacieux est un média dédié aux initiatives à impact positif des collectivités publiques. Le journalisme de solutions ou d’impact est un moyen de « montrer que changer le monde appartient au domaine du possible. Il ne s’agit pas d’un journalisme des « bonnes nouvelles », mais plutôt d’un journalisme « constructif, centré sur les solutions et les réponses, sans pour autant les approuver ». Il s’agit de susciter l’intérêt du public autrement que par le dramatique, et d’éveiller l’engagement.Sur le territoire du Grand Bergeracois (trois Communautés de communes rurales et une Communauté d’Agglomération), le PTCE la Fab’Coop, et le média Territoires Audacieux ont décidé de documenter les initiatives de transition et les coopérations locales.
Le média créé, le Grand Bergeracois Audacieux, propose ainsi, à travers plusieurs rubriques, des portraits d’acteurs et des présentations d’initiatives locales diffusés sous la forme d’articles, de podcasts ou de vidéos, afin de mettre en valeur les actions réalisées.
Ce dispositif de « journalisme embarqué » vise à soutenir la visée d’animation territoriale du PTCE. C’est en effet la question de la coopération entre les acteurs qui constitue la motivation principale de la démarche. En quoi la création et la diffusion de contenus sur les initiatives locales favorisent-t-elles la coopération entre les acteurs dont on parle et ceux à qui on s’adresse ? L’objectivation des effets en termes de coopération de ce travail médiatique local constitue l’un des objectifs de la démarche pour l’année 2024, après une première année dédiée à l’installation du dispositif de journalisme embarqué.
Contenus
Chaque semaine, le Grand Bergeracois Audacieux propose à ses lecteurs deux reportages (dont un en format vidéo) à travers ses réseaux sociaux, et sa boucle WhatsApp. Plusieurs types de contenus sont publiés :
- La rubrique “Moi, bergeracois” présente chaque semaine un portrait d’un acteur du territoire qui porte une démarche impactante pour le territoire, pour interroger la notion d’appartenance et ce qu’est le Bergeracois.
- La rubrique “Notre territoire engagé” présente des initiatives, telles que des associations d'insertion et de mixité sociale, des initiatives entre une mairie et le département pour favoriser le slow tourisme, ou l’histoire de l’essor d’une industrie locale…
- La coop’action du mois, c’est le podcast mensuel qui permet de faire un retour sur des projets menés par des acteurs du territoire, par exemple un tiers lieux des transitions, en mettant l’accent sur la question de la coopération autour de ce projet, afin de montrer qu'elles sont déjà sur le territoire et que d’autres peuvent exister.
- La rubrique ”Bergerac Demain”, enfin, consiste en une sélection d’articles extraits des contenus de Territoires Audacieux, sur des initiatives venues de toute la France, pour inspirer et susciter le questionnement sur les besoins du territoire.
À ce stade de l’expérimentation, plusieurs aspects sont intéressants. D’abord, la ligne éditoriale du média et l’éthique journalistique. Inspirés du journalisme de solution, les articles cherchent à mettre l’accent sur les solutions apportées à des problèmes plutôt qu’à insister sur le fonctionnement de ces problèmes. Cette exigence journalistique permet de mieux comprendre ce qui est entendu par la notion de « communication sincère ». Une attention à la preuve vise en principe à s’assurer de la validité des propos avancés par les interrogés. En outre, les articles pointent parfois des insuffisances ou des limites inhérentes aux projets documentés. Ce sont alors les effets d’une telle exposition pour les interrogés qui apparaissent : quelles sont les répercussions pour les porteurs de projet d’une publicisation de leurs faiblesses ou vulnérabilités ?
"Notre rôle a moins été de montrer ce qui n’a pas marché que de montrer des personnes invisibles jusque-là et qui font leur travail silencieusement. Avant de rendre la transition désirable, on a montré une transition invisible, qui est parfois en marche et qu’on oublie" — Baptiste Gapenne, fondateur de Territoires Audacieux.
Cette exigence journalistique se traduit également par une attention à la notion « d’implication ». L’indépendance journalistique vis-à-vis de la structure porteuse, le PTCE, offre une possibilité au journaliste de documenter différentes positions et approches de la transition écologique ou du développement territorial. Ce positionnement soulève parfois des réactions d’acteurs locaux, notamment certains investis dans l’ESS, qui déplorent l’attention accordée à des projets aux valeurs jugées antinomiques aux leurs.
Ce positionnement soulève une question : un média embarqué et orienté sur les solutions territoriales doit-il assumer de nourrir un récit et dans ce cas, s’inscrire dans un certain rapport de force face à d’autres acteurs porteurs d’autres conceptions du territoire ? Ou bien doit-il prendre de la distance, chercher à respecter le pluralisme des valeurs et s’inscrire plutôt dans une posture de neutralité et de médiation entre des positions divergentes ? Dans le cas du GBA, la seconde option a été privilégiée.
Un espace de débat en particulier a émergé au cours de cette initiative. Le Comité de pilotage du projet, qui réunit les partenaires initiaux du projet (Territoire Audacieux, le PTCE La Fab’Coop, Le Rameau et la Fabrique des Transitions), des acteurs institutionnels (le département, la Région…) et des acteurs locaux, a progressivement vu son rôle évoluer. Il est ainsi devenu un lieu de questionnement et de réflexivité sur les conditions de la coopération territoriale.
C’est par exemple la consistance de l’échelle territoriale dite du Grand Bergeracois qui est a été interrogée, aux vues des sentiments d’attachement pour d’autres échelles géographiques qui ont été exprimés par les acteurs locaux. Au-delà de ses finalités, le statut et le fonctionnement de cet espace restent à préciser. Qui doit en être l’animateur ? Le média ? Le PTCE ? Un acteur institutionnel ?
Finalement, cette expérimentation journalistique interroge le statut de « l’enquêteur », ici du média, et sa contribution à des rapports politiques. Il semblerait que la neutralité ne soit jamais réellement atteignable ou, pour le dire autrement, que l’on ne s’affranchit jamais complètement d’un rapport de force. La légitimité du média est de fait servie et desservie par son intégration au PTCE, qui lui offre d’abord, dans un premier temps, son réseau d’acteurs comme terrain de potentielles initiatives à documenter. L’échelle globale de cette structure permet d’adresser toutes les collectivités en s’affranchissant de certaines étiquettes politiques.
Cette expérimentation journalistique interroge le statut de « l’enquêteur », ici du média, et sa contribution à des rapports politiques.
Face à de tels enjeux de partialité, l’éthique et la rigueur de l’analyse journalistique permettent de garantir une forme d’indépendance à même de convaincre ceux qui resteraient sceptiques. En outre, l’importance de cet espace de débat qu’est le Copil font de son ouverture et de sa composition un enjeu à la fois stratégique et politique. En ce qu’il semble devenir l’un des organes principaux dans lesquels la coopération entre acteurs est discutée, il affecte en effet la dynamique de l’action territoriale.
Quelques enseignements
- Le dispositif du “journalisme embarqué” au sein d’une structure d’animation territoriale (un PTCE) dont l’objectif est de soutenir la coopération entre les acteurs qui font partie de ce regroupement d’acteurs et, plus largement, à l’échelle du territoire.
- L’exigence et l’éthique du “journalisme de solutions” qui met l’accent, pragmatiquement, sur les solutions plutôt que sur les problèmes rencontrés par le territoire. L’éthique du journalisme de solution suppose une indépendance de l’acteur tiers qui prête son regard vis-à-vis de la structure où il est embarqué.
- Un dispositif qui permet de publiciser des initiatives de transition peu visibles ; constitue un exercice de “communication sincère” qui peut parfois exposer les personnes dont on parle en pointant les limites ou faiblesses de leurs projets ; dont la fonction “d’implication” repose à la fois sur l’éthique journalistique et sur l’indépendance du média vis-à-vis de la structure porteuse, le PTCE, pour pouvoir documenter une diversité d’initiatives sans privilégier certaines valeurs politiques.
- Un dispositif dont les contenus et enseignements sont discutés au sein d’un espace, le Copil, qui permet 1/ d’analyser les conditions de possibilité de la coopération entre les acteurs (exercice de réflexivité) et 2/ de débattre des orientations politiques en termes de TE ou de développement territorial, à partir des différentes positions documentées (exercice de mise en trajectoire).