Dans la continuité du parcours en cohorte « Territoires pilotes » saison 1 (2021-2022), la Fabrique des transitions poursuit son accompagnement de neuf territoires pilotes à l’échelle nationale, de différentes tailles et orientations politiques, dans la définition et la mise en œuvre de leur projet de transition.
En plus d’animer des temps de qualification des projets pilotes de chacun des territoires et de superviser leur mise en oeuvre appuyée par des alliés, la Fabrique des transitions organise des sessions collectives de travail dédiées aux retours d’expériences des collectivités participantes sur la manière dont elles conduisent le changement et leurs avancées depuis la première saison.
Comment faire mieux avec moins ?
Le Pôle d’Equilibre Territorial et Rural (PETR) Albigeois et Bastides, c’est près de 60 000 habitants répartis au sein de cinq communautés de communes très rurales qui partagent de l’ingénierie via l'intercommunalité, notamment chargée de la transition écologique.
.
Très impliqué sur les questions de transition depuis 2007, le PETR engage de nombreux dispositifs en ce sens : PCET, CEP, TEPOS, PTRE, TEPCV, PAT, PCAET… Cependant, malgré ce foisonnement, les actions restent souvent sectorielles et leur addition ne conduit pas à une dynamique de transition globale. Les différents projets répondent à des enjeux précis mais ne permettent pas de se projeter sur le long terme et de réellement dessiner le futur du territoire. Par ailleurs, les projets ont tendance à péricliter lorsque les soutiens financiers s’arrêtent et ne génèrent pas de mise en mouvement profonde de l’ensemble des acteurs locaux. Comment faire mieux avec moins ?
Un premier tournant a été l’élaboration du PCAET en 2017-2018, qui a permis de positionner les communautés de communes au premier plan des politiques de transition locales, qu’elles avaient jusqu’à lors plutôt l’habitude de déléguer au PETR. Le PCAET a également favorisé l’émergence de plusieurs coopératives et renforcé le soutien des collectivités aux dynamiques citoyennes.
Un second tournant a été le diagnostic sensible réalisé par la Fabrique des transitions en 2020, engagé avec la volonté de gagner en transversalité (en « systémie »). Celui-ci a révélé deux visions contradictoires du PETR :
- il est soit considéré comme une strate administrative supplémentaire, qui surplombe les autres et les complète à la fois ;
- soit comme un vecteur potentiel de coopération et de mutualisation de moyens, permettant de croiser plusieurs échelles.
Échanger entre « pairs » pour faciliter la transversalité
De ce constat naît la volonté de consolider la seconde vision et d’engager au sein du PETR un travail spécifique sur l’organisation et la coopération des équipes, de manière à renforcer les différentes transversalités nécessaires pour répondre aux enjeux de la transition.
Par ailleurs, des enjeux de souffrance au travail émergent, qui viennent interroger à la fois les pratiques managériales et le projet politique du PETR. Comment la transition peut-elle aussi être source de mieux être au travail ? Est-il possible de mener la transition sans également transformer les modes de travail ?
Dans le cadre du parcours « Territoires pilotes », un second diagnostic, complémentaire du premier, fait apparaître la nécessité de travailler à un projet commun aux cinq communautés de communes pour rassembler, éprouver de nouvelles manières de faire ensemble et transformer la coopération en interne.
Un groupe de quatre agent·e·s, qui, bien qu’exerçant dans différentes intercommunalités, partagent les mêmes difficultés dans leur travail, se réunit alors et initie un espace confidentiel d’échange entre “pairs”.
- Dans un premier temps, il leur est proposé de mettre en récits un projet dont elles sont fières et un qui a été source de tension (écriture d’une lettre).
- Puis une analyse organisationnelle et collective des raisons de ce succès ou échec est réalisée avec les autres agent·e·s, à partir d’une grille d’analyse (voir schéma).
- Enfin, c’est le temps de la formulation d’une lettre collective avec des propositions communes et constructives pour améliorer nos organisations et leurs permettre de mener des projets ambitieux de transition écologique.
L’objectif ? Qualifier le point de vue des agent·e·s en partant des récits d’expériences vécues, en tirer des constats et propositions collectives sur l’organisation, et surtout créer un terrain de discussion avec les DGS et les élu·e·s. À partir de ce point de vue partagé de « l’administration », une phase d’interpellation est ensuite organisée auprès des élu·e·s.
Ces temps d’échanges entre « pairs » ont été l’occasion d’aborder les problématiques organisationnelles (parfois sensibles), dans un cadre à la fois confidentiel et sécurisant.
La première difficulté a résidé dans le fait d’assumer la dimension subjective d’une part, et le passage au collectif d’autre part : dire « je » avant de passer du « je » au « nous ». Par ailleurs, il y a eu un écart entre le dispositif tel qu’envisagé initialement et la manière dont il s’est réellement déroulé : tous les groupes ne se sont pas pleinement saisis de l’exercice dans la même temporalité.
.
Néanmoins, même partielles, les conclusions ont été présentées aux élus pour nourrir leurs arbitrages quant aux nouvelles modalités d’organisation à mettre en place.
La coopération produit de la valeur (même économique !)
La réussite du dispositif tient notamment à la détermination de certains acteurs qui ont eu le courage de mener l’exercice jusqu’au bout et d’exprimer publiquement des ressentis qui n’étaient pas toujours plaisants à attendre. Elle tient également à la compréhension de leurs interlocuteurs qui, au lieu de se braquer, se sont sentis investis d’une responsabilité nouvelle.
En définitive, la cohésion du pôle s’est trouvée renforcée par ces échanges, condition nécessaire à toute volonté de coopération au services de politiques transversales de transition. Pour le PETR, l’enjeu réside désormais dans la capacité à élargir le dispositif aux différentes communautés de communes, pour également fluidifier les coopérations avec et au sein de celles-ci.
Cela passe d’abord par la mise en place de formations territorialisées sur le management par la coopération ; ensuite par la création et l’animation de plusieurs « groupes de pairs » inter-collectivités ; et enfin, par l’identification d’un projet opérationnel commun aux cinq communautés de communes, pour expérimenter concrètement de nouvelles manières de faire et de s’organiser.
Pour faire face aux sécheresses dont souffre le territoire, le PETR a par exemple souhaité favoriser l’installation de récupérateurs d’eau de pluie. Fort de la nouvelle organisation transversale qu’il a mise en place, il ne se contente pas d’un simple appui financier à l’acquisition de récupérateurs par les habitants, mais propose des formations à leur installation — destinées autant aux habitants qu’aux agents des collectivités — et travaille à l’exemplarité des communes dans ce domaine, en jouant un rôle d’animation territoriale.
Aujourd’hui, des organisations comme l’Agence de l’Eau Adour-Garonne, la Chambre d'Agriculture ou la Chambre des Métiers s’intéressent à la dynamique de coopération créée par le PETR autour des récupérateurs d’eau de pluie et réfléchissent à la manière de mettre en œuvre des projets similaires avec leurs propres publics.
En résumé
- Un groupe d’agent·e·s qui a trouvé un vrai lieu de ressourcement, d’échange, de soutien, et qui maintenant coopèrent beaucoup plus facilement.
- La création d’un réseau de directeurs généraux des services au sein du PETR, pour proposer des réponses aux problématiques organisationnelles et renouveler la manière de conduire les projets.
- Une chargée de mission a été missionnée et repositionnée au sein de son intercommunalité pour travailler sur la transition systémique.
- La gestion des eaux de pluie est désormais travaillée collectivement et permet de tester de nouvelles manières de faire ensemble. L’Agence de l’Eau Adour-Garonne soutient la dynamique de coopération créée par le PETR autour des récupérateurs d’eau de pluie, et des organisations comme la Chambre d’Agriculture ou la Chambre des Métiers réfléchissent à la manière de mettre en œuvre des projets similaires avec leurs propres publics. Le territoire obtient plusieurs centaines de milliers d’euros de subvention. La coopération, ça paye !
- Enfin, de cette dynamique a émergée une formation expérimentale d’une quarantaine de cadres et agent·e·s issus des 5 EPCI dont les DGS au management par la coopération, en partenariat avec le CNFPT. Au-delà des apprentissages, cette formation a initié un nouvel espace d’échanges élargi entre pairs tout en embarquant d’autres agent·e·s dans cette dynamique de coopération.
Il n’y aura donc pas de transition sans transformation des modes de travail. La façon dont on se représente les modes de travail compte autant que les projets concrets qui facilitent ces projets. C’est une expérience “culturelle” nécessaire pour le portage et le pilotage des transitions. Prendre le temps de la coopération n’est finalement pas un luxe : elle permet de gagner du temps, voire même de l’argent (mutualisation des RH…).
.
Désormais, la capacité du PETR à accompagner les intercommunalités sur les enjeux de transversalité et de coopération est reconnue. Celle-ci devient son cœur de métier, entraînant ainsi un repositionnement de ces missions dans le but de devenir une véritable « Fabrique locale des transitions » au service des coopérations territoriales, et ainsi favoriser le changement d’échelle de la transition.
Les effets
- Renouvellement des postures et des représentations, émergence d’une nouvelle culture commune.
- Repositionnement des ressources humaines : recrutement d’une personne avec des compétences d’animation, missionnement d’une personne sur les enjeux de transversalité et d’une autre sur les enjeux de transition systémique.
Ou effet « déclic » : prise de conscience de nouveaux enjeux.
- Travail collectif autour du projet de récupérateur d’eau de pluie, avec mutualisation des moyens (notamment en ressources humaines).
Ou effet « d’alliance » : meilleure coopération entre les « 4 Fantastiques » / les parties prenantes / les partenaires.
- Repositionnement des missions du PETR au service des coopérations locales et du changement d’échelle de la transition.
Ou effet « amplificateur » : ambition rehaussée.
- Inspiration d’autres organisations et collectivités, à d’autres échelles.
Ou effet « essaimage » : inspiration d'autres acteurs / territoires.
Pour aller plus loin
- Le portrait vidéo du PETR Albigeois et Bastides par Territoires Audacieux (2021), dans le cadre de l’accompagnement en cohorte Territoires pilotes (saison 1).